2015-2016

Deux journées d'études furent organisées, l'une sur "Hannah Arendt et la tradition révolutionnaire", l'autre sur "Phénoménologies de la temporalité, théories de l’historicité".

3 mai 2016 - "Hannah Arendt et la tradition révolutionnaire"

"Notre héritage n’est précédé d’aucun testament." René Char.

En 1963, Hannah Arendt publiait son essai consacré à l’idée moderne de révolution. A partir d’une analyse croisée des révolutions américaine et française, Arendt entreprenait d’« apprendre ce qu’est une révolution – ses conséquences générales pour l’homme en tant qu’être politique, sa signification politique pour le monde dans lequel nous vivons, son rôle dans l’histoire moderne ».

Par-là elle entendait ni plus ni moins que revisiter de fond en comble l’ensemble des catégories au travers desquelles nous pensons la politique depuis la fin du XVIIIe siècle. Penser et pratiquer la politique en termes de liberté (plutôt que de nécessité et de contrainte), de pouvoir-agir en commun (plutôt que de souveraineté), de bonheur public (plutôt que de bien-être privé), de commencement nouveau (plutôt que de répétition et de cycle), voilà quelques-uns des éléments qui, selon elle, ont façonné « l’esprit révolutionnaire » des modernes.

Arendt terminait toutefois son essai par une touche mélancolique en déclarant que « l’incapacité à penser et à se souvenir a entrainé la perte de l’esprit révolutionnaire ».

Retrouver le « trésor perdu » des révolutions modernes, cela signifie entre autres choses d’après elle conjurer la « malédiction » qui s’est abattue sur la politique et sur la pensée philosophique depuis qu’action et réflexion se sont faussés compagnie.

Où en sommes-nous aujourd’hui, cinquante ans après De la révolution, avec notre rapport à la tradition révolutionnaire moderne et à ses « trésors perdus » ? Quel est donc ce passé révolutionnaire qui hante le présent pour mieux le subvertir ? Quelle signification accorder à l’idée arendtienne d’une « tradition révolutionnaire » nous délivrant le message politique de constamment commencer à neuf ? Comment maintenir intacts l’esprit révolutionnaire et sa double exigence, en apparence contradictoire, de stabilité et de novation ? Que reste-t-il du désir révolutionnaire, tout séculier et strictement politique, de fonder « une cité terrestre éternelle » ?

Telles sont quelques-unes des questions qui ont animé cette journée d’étude autour de Hannah Arendt et de son essai sur la révolution, dans le but de faire droit à un héritage, intellectuel et politique, qui n’est décidément précédé d’aucun testament.

27 mai 2016 - "Phénoménologies de la temporalité, théories de l’historicité"

Le but de cette journée était de croiser deux perspectives sur le temps et sur l’histoire tout comme de s’interroger sur leurs potentialités respectives.

La première perspective s’inscrit dans la lignée des traditions phénoménologiques (Husserl) et herméneutiques (Heidegger et Gadamer). Elle consiste à appréhender le temps depuis le foyer des actes intentionnels d’un sujet qui, pour être constituant, n’en est pas moins profondément marqué en retour par la structure de la temporalité.

La seconde découle des différentes théories de l’histoire qui, après avoir définitivement pris congé des philosophies de l’histoire, ont souhaité aborder la question du temps et de l’histoire à partir du travail historiographique.

Depuis les réflexions de l’Ecole des Annales (Braudel, Bloch), de l’épistémologie historique (Canguilhem, Bachelard, Foucault) ou encore de l’histoire sémantique (Koselleck, Blumenberg, Jauss), l’histoire apparaît moins comme étant liée à l’expérience du temps vécu comme un processus dont la rationalité propre ne dépend pas ultimement d’une quelconque subjectivité.

Il est vrai que ces deux perspectives s’accordent sur le fait que le temps historique n’est en rien assimilable au temps cosmologique. Le temps historique a ceci de spécifique par rapport au temps naturel qu’à travers lui se maintient un irréductible écart entre « le champ de l’expérience » et « l’horizon d’attente ».

Il se manifeste au travers d’une conscience historique « au double sens de conscience de faire l’histoire et conscience d’appartenir à l’histoire » (Ricoeur). Néanmoins, l’historicité du temps est abordée différemment selon qu’on accentue en lui le temps vécu de la subjectivité ou le temps d’un processus de rationalité objective opérant pour ainsi dire dans le dos des consciences.

L’objectif de cette journée était dès lors de croiser ces deux perspectives et de questionner leur légitimité respective afin d’enrichir une série de débats autour du temps et de l’histoire. Qu’en est-il de la continuité et de la discontinuité du temps historique à partir de ces deux approches ? Comment comprendre à partir d’elles la dialectique entre le structurel et l’événementiel, entre le synchronique et le diachronique ?

Il s’agissait également de prendre au sérieux les différentes tentatives de concilier ces perspectives phénoménologiques et historiographiques, à l’instar par exemple des idées avancées, d’une part, par Paul Ricoeur, de placer le récit dans l’entre-deux du temps vécu et du temps historique et, d’autre part, par Jan Patocka, de comprendre l’historicité à partir de l’émergence d’une problématicité venant mettre à mal notre rapport « naturel » au monde.